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Paroles d’honneur

PAROLES D’HONNEUR, par Leïla Slimani (scénario) et Laetitia Coryn (dessin) (Les Arènes BD, 2017)

paroles d'honneur2015, Rabat. Leïla Slimani fait la connaissance de Nour, une marocaine qui lui raconte sans tabou ni retenue sa sexualité et les tragédies intimes que subissent la plupart des femmes qu’elle connaît. Elle poursuit ses entretiens à Casablanca, en rencontrant des jeunes femmes et des jeunes hommes qui confirment l’écart entre la tradition musulmane de la société marocaine et la vraie vie…

J’ai tenté la lecture de cet album après l’avoir repéré suite à la BD de la semaine. Comme souvent, je ne regrette pas la découverte ! Paroles d’honneur est un superbe album qui nous narre une société marocaine paradoxale, entre la norme sociale, la forte pression familiale, la tradition et les faits réels, avec des jeunes gens qui veulent vivre sans les contraintes de la société et de la famille. C’est impressionnant de voir cette société marocaine à travers les yeux d’une franco-marocaine. La parole se libère, les femmes s’émancipant progressivement de ce poids traditionaliste. Cet album se lit facilement, l’histoire est fluide. On est aux côtés de Leïla Slimani, prix Goncourt 2016, qui interviewe ses compatriotes, ou plutôt les écoute. En effet, elle pose peu de questions et se garde bien de donner son avis, mais fait plutôt office de déclencheur de la parole chez ses interlocuteurs, qui sont du genre bavards et ont l’air soulagés de confier leur vie (plus ou moins) intime à une femme plus émancipée qu’eux, à propos des relations avec les hommes, l’homosexualité, le voile, le plaisir, la drague…

Leïla Slimani dénonce le poids de la religion dans une société marocaine où l’islam est religion d’état, avec tout ce que ça implique, mais aussi l’hypocrisie entre ce qui est attendu par la tradition et ce qui est véritablement pratiqué. C’est édifiant ! L’histoire est triste pour les femmes qui sont bridées par les traditions, par exemple la prostituée qui fait vivre sa famille, mais qui se demande qui voudra d’une fille comme elle après avoir exercé une telle activité… L’album montre donc une réalité culturelle bien éloignée des traditions, la pression des conservateurs et une opinion publique divisée, le paradoxe et l’hypocrisie, et je dois dire que c’est très intéressant à suivre ! Par exemple, lorsque l’auteure nous présente des lois d’un autre temps concernant l’avortement (puni de 1 à 5 ans pour celui qui provoque un avortement, avec ou sans l’accord de l’intéressée, et même la femme ayant avorté risque entre 6 mois et 2 ans de prison…), on se demande comment cela peut encore exister…

Le dessin se veut proche de la réalité, les personnages ont l’air d’être ressemblants (en tout cas, Leïla Slimani étant reconnaissable, on peut penser que les autres le sont également). Par contre, les couleurs font à la fois travaillées mais aussi artisanales : on voit des traits, presque comme un beau coloriage. Au départ c’est un peu déroutant, mais au final cela coule bien dans cette histoire.

Paroles d’honneur est un très bel album, certes à ne pas mettre entre de jeunes mains, mais qui constitue un beau témoignage sur la situation des femmes dans un Maroc qui se voudrait plus ouvert mais qui ne l’est finalement pas tant que ça…

Non mentionné sur l@BD, mais je dirais à partir de 15 ans.

On en parle sur les blogs : Au milieu des livres, D’une berge à l’autre, Sab’s pleasures, Anouk library, Les élucubrations de Fleur, Les lectures de Liyah

Premières planches à voir sur Izneo.

Cet album participe à la-bd-de-la-semaine-150x150, cette semaine chez Moka au milieu des livres qui regroupe les billets des participants pour ce premier rendez-vous de l’année !

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