BD historique, BD hors de nos frontières, BD sentimentale

Gentlemind, épisode 1

GENTLEMIND, Episode 1, par Juan Diza Canales et Teresa Valero (scénario) et Antonio Lapone (dessin) (Dargaud, 2020)

gentlemindAmérique, 1939. A New-York, dans la ville qui ne dort jamais, vivent Navit et Arch. Dans ce couple, il est illustrateur de presse, elle est son modèle. C’est l’époque des magazines de pin-up, mais Arch ne trouve pas de travail. Armé de son dessin de Navit, il écume les rédactions new-yorkaises, mais n’essuie que des refus. Dans les bureaux du magazine Gentlemind, il réitère sa demande, mais ce qu’on lui propose, c’est de rencontrer son modèle plutôt que de l’embaucher. Navit va négocier pour que son compagnon travaille dans le magazine, mais c’est plus un placard qu’autre chose. Déçu, Arch fait semblant, mais décide un beau jour de s’engager dans la guerre qui fait rage en Europe… Les mois passent, Navit quant à elle est toujours modèle pour Gentlemind, et son patron, M. Powell, tombe amoureux d’elle et l’épouse, avant de mourir d’une crise cardiaque quelques jours/semaines plus tard. S’en suit une bataille judiciaire entre la première épouse et la veuve, et un accord à l’amiable savamment négocié par son avocat va permettre à Navit de toucher plusieurs millions de dollars et de prendre la tête du magazine qui périclite… Elle va alors décider de changer la ligne éditoriale de la revue, en questionnant les lecteurs sur leurs souhaits… Lire la suite « Gentlemind, épisode 1 »

BD engagée

Dessinateurs de presse [hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo]

DESSINATEURS DE PRESSE : ENTRETIENS AVEC CABU, CHARB, KROLL, LUZ, PETILLON, SINE, WILLEM ET WOLINSKI, par Numa Sadoul (Glénat, 2014)

Interviews de grands dessinateurs de presse belge ou français réalisées depuis 2006, sur leur métier, la satire, la caricature, la liberté d’expression, les scandales qui ont émaillé leurs carrières… Parmi ces dessinateurs, trois faisaient partie de l’équipe de Charlie Hebdo décimée le 7 janvier 2015 : Cabu, Charb et Wolinski.

Voici un ouvrage que j’ai lu (en partie seulement) dans le cadre de l’hommage organisé aujourd’hui sur la blogosphère, une semaine après l’horrible attentat dont ont été victimes des dessinateurs et journalistes de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo ainsi que d’autres français anonymes, lors de ce qui était le premier des trois jours de terreur qu’a connus la France en ce début janvier 2015. Difficile pour moi de trouver un ouvrage d’un des dessinateurs disparus que ce soit en bibliothèque ou en librairie, donc je me suis rabattue sur ce documentaire, le seul ouvrage qu’il restait dans ma petite librairie locale… 213 pages d’interviews ponctuées de fiches d’identité des auteurs (remplies le plus souvent avec humour) et de nombreux dessins de presse (sourcés et datés uniquement en fin d’ouvrage, ce qui est un peu dommage). Environ 25 pages d’interview par dessinateur, cela donne un livre dense et riche d’informations, qui ne peut se lire d’un seul trait, mais plutôt par « touches ». J’ai parcouru uniquement pour l’instant les interviews des trois dessinateurs disparus, et j’ai réellement appris plein de choses sur Charlie Hebdo et Hara Kiri, sur le processus de création d’un dessin de presse et sur la façon dont on considérait la presse dans les années 1960 et ensuite… Les questions des menaces et des risques sont aussi posées sans détour, de même que celles sur l’engagement politique. Les interviews sont retranscrites telles quelles et on a presque l’impression de les entendre répondre, d’entendre les intonations… puisque le style est très oral parfois. Je crois que je continuerai très bientôt avec les autres interviewés de ce livre, pour voir comment eux aussi, actuels ou anciens de Charlie Hebdo ou d’autres titres de presse, voient la liberté d’expression au 21ème siècle.

Dessinateurs de presse est, encore plus après les événements tragiques de la semaine dernière, un ouvrage à placer en première ligne dans sa bibliothèque.

A partir de 15 ans selon l@BD.

Plus d’infos sur cet hommage de la blogosphère sur l’article consacré sur « Chroniques de l’invisible », le blog de Yaneck.

Voir sur le site l@BD la (très courte) sélection hommage à Charlie Hebdo.

Pour cette journée spéciale dessinateurs de Charlie Hebdo, allez voir les avis et articles des autres blogueurs :

BD engagée, BD fait de société, BD hors de nos frontières

Une métamorphose iranienne

UNE MÉTAMORPHOSE IRANIENNE, par Mana Neyestani (Editions Çà et là / Arte Editions, 2012)

Récit autobiographique de Mana Neyestani, dessinateur de presse iranien qui s’est reconverti dans les pages jeunesse d’un journal, et qui à cause d’un dessin avec un cafard tenant des propos azéris, est à l’origine de manifestations dans le pays. Les tensions en Iran et en Azerbaïdjan sont tellement fortes que le dessinateur et son rédacteur en chef Mehrdad sont arrêtés et jetés dans une prison du pays, officiellement le temps que les tensions dans les zones azéries se calment, mais en réalité, la détention se poursuit, et le jeune homme découvre un mode de vie très particulier, entre interrogatoires musclés, dénonciations et vie en cellule avec les autres prisonniers. Après plusieurs mois en prison, alors lorsqu’il est libéré de façon provisoire, il va en profiter pour fuir le pays avec sa femme Mansoureh, d’abord à Dubaï. Se heurtant aux nombreux problèmes administratifs, le couple va tout faire pour ne pas rentrer en Iran où la prison attend Mana…

J’avais un peu peur en empruntant cet album, peur de trouver un album trop fort, au sujet trop grave, moi qui en ce moment ai envie de BD légères et divertissantes… Et bien, oui, cet album n’est pas drôle du tout, il dénonce un régime et un système autoritaires, mais c’est un album obligatoire pour qui s’intéresse à la liberté de la presse dans le monde et à la liberté humaine en général. C’est donc un ouvrage très intéressant, mais pas forcément facile d’accès : le dessin en noir et blanc fait très dessin de presse (normal quand on sait le parcours du dessinateur), et le propos n’est pas forcément grand public non plus. L’auteur utilise beaucoup les hachures pour faire les nuances de couleurs, cela est au départ particulier, mais au final cela colle au propos, et donne un trait net et précis. L’auteur joue aussi avec la caricature, en accentuant certains personnages, en utilisant des plans originaux (plongée, contre-plongée), et en jouant avec les hauteurs des personnages. Il y a une petite touche fantastique parfois à ce niveau-là, car c’est vraiment l’interprétation, le ressenti de l’auteur qui est dessiné, et cela n’est pas du tout dérangeant, bien au contraire : un récit linéaire et ultra-réaliste aurait été assez pénible à lire je pense. J’ai beaucoup aimé les scènes où le personnage pour enfant prend vie et tient compagnie à l’auteur, pour souligner sa grande solitude. L’auteur utilise aussi l’humour (souvent acide) dans certains de ses dialogues ou superpose deux époques (on le voit par exemple dans une même case rasé (en homme libre, à la rédaction du journal) et barbu (emprisonné), et la situation est assez drôle, lorsqu’un parle à l’autre, connaissant la fin de l’histoire sur les dessins a priori anodins qu’il produit pour le compte du journal). L’image récurrente du cafard, souvent écrasé par Mana, est utilisée pour signifier les complexités de l’administration, cela donne un côté fil rouge à cette histoire. Le cafard revient souvent car l’auteur est pris dans un imbroglio administratif impressionnant, que ce soit en Iran ou lorsqu’il cherche une terre d’accueil en Europe ou au Canada après avoir fui son pays. Cette référence visible à Kafka (avec une allusion au héros de « La Métamorphose ») fait partie des références plus ou moins visibles dans l’album, avec par exemple des anecdotes sur l’actualité mondiale alors que Mana et Mehrdad étaient emprisonnés. C’est donc un album qui plaira à ceux qui s’intéressent à l’actualité internationale et aux droits de l’homme. Une BD engagée pas facile à lire, mais nécessaire.

A partir de 15 ans selon l@BD.

On en parle sur les blogs : Chroniques de l’invisible, D’une berge à l’autre, La tanière du champi,Audouchoc

Extrait à télécharger depuis le site de l’éditeur.

Interview de l’auteur à lire sur Rue89.

Biographie de l’auteur, avec quelques uns de ses dessins sur le site Cartooning for Peace. Voir aussi sa page Facebook.