BD fait de société

L’anniversaire de Kim Jong-Il

L’ANNIVERSAIRE DE KIM JONG-IL, par Aurélien Ducoudray (scénario) et Mélanie Allag (dessin) (Delcourt, 2016, coll. Mirages)

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Jun Sang a 8 ans et est très fier de son pays. Il vit en Corée du Nord, et participe avec les autres enfants de son âge à la propagande du pays le plus fermé du monde. Jun Sang est d’autant plus fier que le 8 février, jour de l’anniversaire du dirigeant, c’est aussi son anniversaire. Alors même si ce n’est pas lui qui n’est pas mis en avant, le jeune garçon est tout de même particulièrement fier d’être là parmi le peuple. Mais lorsque ses parents, supportant de moins en moins le régime, décide de fuir vers la Chine, il les suit avec sa soeur aînée, mais la famille est capturée et envoyée dans un camp de travail…

Voici un album repéré chez Saxaoul je crois, à la fin de 2016. Je ne connais pas plus que cela le sujet de la Corée du Nord, mais son article élogieux m’a donné envie d’aller voir du côté de cet album sorti à la rentrée dernière. Et bien, ce fut une bonne pioche, j’ai dévoré ce livre de plus de 130 pages de belle qualité. Déjà on tient entre les mains un bel objet, comme souvent dans la collection Mirages de chez Delcourt. J’ai été un peu désarçonnée au départ par le dessin très enfantin, très rond et aux couleurs artisanales. Je ne m’attendais pas à un tel trait, mais au final, il passe bien dans l’histoire et est très lisible. Il correspond un peu au héros, garçonnet de 8 ans, fictif (enfin je crois), mais vivant dans un contexte bien réel. En effet, on est immergé dans l’histoire à travers le plus souvent la narration du jeune garçon, qu’on comprend dès le début de la lecture complètement endoctriné. Il nous expose la vision du régime et certaines cases sont particulièrement significatives, quand on voit le décalage entre le propos du régime et la réalité (par exemple les sacs de riz que le régime dit avoir confisqué aux chiens d’américains, alors que dessus il est inscrit « UN » et qu’un soldat demande ce que c’est…). Le jeune héros accepte totalement la vie sous ce régime, n’ayant toujours connu que cette situation-là. Sans en être conscient, il nous montre la surveillance et la main-mise omniprésentes du régime dans toutes les actions, même les plus banales, des habitants. On se dit que c’est affolant ce qui peut se passer dans ce pays fermé, l’embrigadement de la population, la misère omniprésente, la propagande poussée à son extrême… Seul grain de sable dans la famille : le père d’origine sud-coréenne qui n’en peut plus de ce régime et décide de fuir discrètement avec sa famille, mais tous les quatre se font avoir par un passeur, sont capturés et enfermés dans un camp de travail, où ils sont tous séparés. Le petit garçon, intelligent et doué pour s’occuper des lapins, s’en sort, mais son père, envoyé à la mine, meurt sans que sa famille ne soit prévenue. C’est le début du réveil de l’esprit du jeune garçon, et on passe à une seconde partie dans l’histoire, où il va tout faire pour s’en sortir. Le scénario est donc superbement construit, avec ces deux parties (propagande d’abord, puis naissance et essor de l’esprit critique du garçon). Sans la dévoiler, la fin de l’histoire est à la fois pleine d’espoir mais aussi triste. Elle laisse un sentiment étrange, quand on se dit que la situation existe réellement.

Ainsi, cet album, avec son dessin qui paraît enfantin et léger, développe un propos qui, lui ne l’est pas du tout. Le jeu des couleurs est habile pour nous montrer le désespoir ou l’espoir, la malheur et les moments de joie. Très bien fait, documentaire sur de nombreux aspects, c’est un livre à faire vraiment lire autour de soi. Pour autant, je ne suis pas sûre que sans aucune connaissance du régime politique de la Corée du Nord, on puisse comprendre les nombreux sous-entendus de cet album. Aussi, je doute à l’acheter pour le mettre à disposition des 3e… Qu’en pensez-vous ?

A partir de 15 ans selon l@BD.

On en parle sur les blogs : Echappées de Saxaoul, My Pretty books, A propos de livres, Le blog du petit carré jaune, La bibliothèque du dolmen, Lirado

Premières planches à voir sur Izneo.

Cet album participe à la-bd-de-la-semaine-150x150, cette semaine chez Mo.

21 réflexions au sujet de “L’anniversaire de Kim Jong-Il”

  1. Déjà repéré ce titre.
    Pour ta question finale : est-ce qu’il t’a donné envie d’en savoir un peu plus sur le contexte social de l’époque ? Une curiosité qui t’a fait chercher des info. Est-ce qu’il n’invite pas à ça, peut-être ? Une base de témoignage pour mettre le pied à l’étrier et inviter à se tourner vers d’autres ouvrages qui expliquent mieux la situation ?

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    1. Moi oui, il me donne envie d’aller plus loin, mais je me questionnais par rapport aux collégiens, qui pour la plupart ne sont pas connus pour leur envie de voir le monde autour d’eux, et pour s’intéresser à ce qui se passe dans les pays lointains… Mais on est aussi là pour ça, pour leur élargir l’horizon, alors je vais très certainement tenter de le leur proposer ! 🙂

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  2. Je ne crois pas indispensable de lourdes connaissances sur la Corée du Nord. Pour des collégiens, ça peut demander un petit accompagnement, mais une fois compris le contexte global totalitaire (c’est à leur programme d’histoire, non, le totalitarisme?), je suis certain que le livre est très compréhensible.

    https://chroniquesdelinvisible.wordpress.com/2016/08/29/lanniversaire-de-kim-jong-il-ducoudray-allag-delcourt/

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    1. Oui, je suis d’accord, pas besoin de connaissances, mais comme je l’ai dit en réponse à d’autres commentaires, je suis arrivée dans un établissement où les élèves n’ont comme références BD que les séries « Les profs », « Boule & Bill », « Les foot furieux »… et autres séries du même genre… Autant dire que leur proposer « L’anniversaire de Kim Jong-Il », c’est presque comme mettre un Goncourt entre les mains d’un jeune lecteur… ! 🙂 Mais je ne désespère pas d’y arriver… un jour… ! 😉

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  3. Il fait partie de la sélection d’un prix BD historique auquel je participe avec des 3èmes et pour l’instant, c’est celui qu’ils préfèrent. Contrairement à d’autres albums, il n’y a pas de connaissances historiques nécessaires pour comprendre, juste savoir ce qu’est une dictature.
    Je suis heureuse de t’avoir permis de découvrir cette BD. Pour répondre à ce que tu dis au sujet du dessin, j’ai regardé une vidéo dans laquelle Mélanie Allag explique que c’est la vision de l’enfant qui est développée dans l’album d’où ce trait un peu enfantin. Le personnage est effectivement fictif. Aurélien Ducoudray n’est jamais allée en Corée du Nord mais s’est beaucoup documenté, notamment sur les détails de la vie quotidienne.

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    1. Merci de ton commentaire. Oui, pas besoin de connaissances historiques, je suis d’accord, c’est juste que « mes » élèves n’ont pas l’habitude qu’au CDI on leur propose autre chose que des bd d’humour léger (voire très léger)… Pour eux, la bd, ce n’est pas un moyen d’apprendre des choses… Je suis arrivée en septembre, j’espère donc faire bouger les choses de ce côté-là.
      Je me doutais bien aussi que le trait enfantin était lié au narrateur. Cela passe très bien en tout cas.

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    1. Au vu des réponses, je crois que c’est ce que je vais faire. C’est juste que « mes » collégiens ne sont pas spécialement « ouverts » : pour voir au-delà de leur commune ou de leur département (alors la corée du nord pour eux… c’est plus que loin !), et aussi pour tenter des bd autres que ‘les profs’ et ‘les foot furieux’ (des albums d’un haut niveau n’est-ce pas… ?).
      Bref, je tenterai, s’il reste du budget au printemps.

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